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26 janvier 2011

Chapître 4 - Dieppe, octobre 2006.

Cela faisait trois mois qu'ils se fréquentaient. L'homme qui lui tenait la main était doux, bienveillant. A ses côtés, elle marchait dans les rues de Paris avec une sensation singulière, qu'elle n'arrivait pas à exprimer. Le mot qui lui venait était : glorieux. Elle sourit. Oui, avec cet homme, elle se sentait glorieuse.

L’été brouillon parisien avait laissé place à un automne radieux. Une lumière claire, encore tiède, dorait les pierres de Paris. Monuments et statues se détachaient, pures, sur le ciel qui rosissait le soir.

-Et si nous allions à la mer ce week end ?

Yesirah tourna la tête vers lui, une flamme dans les yeux. Elle adorait les escapades impromptues ; décidées sur le vif, elles donnaient à la destination des allures de terre promise. C'était l'irruption du rêve; l'expression de leur folie commune. Ils étaient maîtres de leur présent, ils créaient, et l'univers suivait.

Yesirah n’était pas née à la capitale. C’était une fille de la mer. Elle ne maquillait pas sa peau, ses yeux étaient deux sombres amandes aux cils courts, sa chevelure châtaigne ondulait au gré du vent et de la pluie. Antise aima comme elle se retourna.

-Oui, oui, oui !

Elle sautillait autour de lui. Il sourit. Il n’arrivait pas à comprendre comment cette femme pouvait être si harmonieusement femme, grave, solennelle presque, et l’instant d’après, sauvage comme une fille des bois. Le tout d’une pureté et d’une fluidité parfaites, comme les flux de la vie vont et viennent, divers et justes à chaque instant. Il eût envie de lui dire je t’aime, mais se retint.

….

Ils firent la route en fin d’après midi. Le trajet fut léger et gai; l'excitation du départ s'était distillée et Yesirah se laissait bercer par la présence d'Antise. Au moment du couchant, ils gagnèrent Pourville, petite station balnéaire près de Dieppe.  Ils empruntèrent une route sinueuse qui fendait la colline. Les falaises normandes,  violacées dans le crépuscule, asseyaient leur imposant mutisme. Le vent roulait de lentes rafales tièdes.

Antise avait choisi une chambre d’hôtes. En empruntant la petite allée de graviers gris qui menait à la demeure, Yesirah fut prise d’un sentiment étrange. Une vague peur mêlée d’excitation. Elle ne pouvait plus fuir : ce week end habilitait, aux yeux du monde, leur relation. Un pincement de plaisir à cette idée inconnue la saisit. Elle était sortie relativement jeune d'une longue histoire, s'était étourdie dans de courtes aventures, avait fini par penser qu'elle ne rencontrerait pas celui qu'elle cherchait. Et à présent ils étaient seuls, dans la nuit naissante d’un bout de terre au bord de la mer normande, et elle avait envie de l'embrasser, ou de pleurer.

Antise poussa la porte et ils pénétrèrent dans le salon. Toit de chaume, épais murs de pierres, haute cheminée, tapis de velours, tableaux peints au mur, et sculptures de fer forgé. L’âme de cette maison était ancienne, capiteuse. Yesirah s’y sentit immédiatement à l’aise. Un parfum secret, alambiqué émanait des bois, de la pierre et des niches, formant l’écrin parfait à leur parenthèse hors du temps.

Leur chambre se trouvait dans une petite aile de la bâtisse. Ils entrèrent dans la petite pièce. Une grande couche moelleuse trônait sous des poutres brunes. Un énorme miroir encadré de dorures surplombait le lit. Yesirah resta figée. Antise se tenait tout près d’elle, elle pouvait sentir son souffle chaud dans sa nuque. Elle vit dans le miroir qu’il la regardait fixement.

-N’aie pas peur.

Yesirah ne s’étonna même pas de cette nouvelle incursion dans ses pensées, comme si celles-ci s’affichaient en toutes lettres sur la surface de verre. Elle se tut. Campé derrière elle, il posa ses longs doigts sur sa nuque. La prise était douce, Yesirah fut docile.

Il la déshabilla lentement, posté derrière elle, embrassant sa  nuque de temps en temps. Il la dénuda devant la glace, ne cessant de fixer son regard. Pas d’échappatoire. Yesirah dut se voir de pied en cap. Elle se figea. Elle tremblait devant ce corps exhibé, ces seins ronds et fermes, ces formes à la volupté indécente et sauvage. Antise l’obligeait à se regarder. Ses courbes criaient à la sensualité, sans qu’elle eût la moindre maîtrise. Les larmes coulèrent, elle voulut se détourner.

Antise sentit le mouvement qui l’assaillait, la retourna contre lui. Il prit le visage effrayé dans ses mains, Yesirah se calma peu à peu. Elle se laissa embrasser, prit goût aux baisers lents et effleurés. Une pulsation de désir monta entre ses cuisses. Antise posa ses mains sur ses hanches nues, électrisant toute la zone. Elle n’était plus qu’une partie d’un tout. Elle se mit à quatre pattes sur le lit, cambra les reins, le visage tourné avidement vers le miroir, regardant le reflet d’Antise d’un air mi provocant, mi suppliant. Le sexe d’Antise était dressé, il saisit les hanches larges de Yesirah et s’enfonça en elle, le buste droit, avec une violence et une excitation difficilement contenues, jusqu’à libérer toute sa semence en elle.

Le jour se leva brumeux sur la mer verte. Yesirah fit quelques pas pieds nus, sur l’herbe mouillée et froide, jusqu’à pouvoir deviner au loin la limite entre la falaise et l’eau. Ils déjeunèrent de pain frais et de beurre puis décidèrent de visiter le port voisin.

Dieppe est une ville colorée, ses pavés irréguliers et bossus, trempés par endroits par l’eau salée des étalages de poissonniers, sont foulés par une flopée de silhouettes fagotées, bottées, riantes, grasses et hétéroclites. Des éclats de voix fusent des conversations dont les bribes viennent aux oreilles des deux amants. Ce matin Antise et Yesirah sont deux étrangers, ethnologues ironiques de circonstance, marginaux et complices.

- Regarde sa robe… (Elle rit)… Mince, on n’est pas du tout au diapason…J’aurais dû mettre ma mini jupe et mes bottes en fourrure…jette un œil au couple là bas… c’est le royaume du kitsch ici…arrête, ils vont nous entendre !

Elle l’embrasse sur la joue, au coin de la bouche, d’un air de défi puis lâche sa main.

- Dis…je suis comme…la fille là bas ? Hein ? Comme celle là alors ? Un peu plus de hanches ? Ah j’ai trouvé, regarde. Plus comme celle-là ? Allez, dis; laquelle ! Regarde vers le marché, au stand de poissons..Non, plus à gauche…derrière…voilà. Oh je sais...On va au resto ? Allez !

Elle minaude. Il perd ses mots. C’est un diamant brut, il pense.

Antise et Yesirah marchent main dans la main, elle se sent fière d’être associée à lui. Elle a l’impression de marcher en musique. Cette balade sans destination dans les rues pavées et bruyantes est une marche nuptiale. Elle ne lui dit rien, mais elle sait qu’il ressent la même chose. Ils sont en filature dans cette ville qui sent la frite et le mauvais goût. Ils s’aiment.

C’est déjà dimanche. Elle sent qu’elle lui plait. Quelque chose de différent : elle jouit de lui plaire. Il parle peu et il met son cœur en bataille.

C’est l’après midi. Le soleil d’octobre commence sa lente descente.

-On se baigne.

Elle lance ses répliques comme des défis, amusée. Est-ce qu’elle le teste ?  Mesure son pouvoir sur lui? Ses mots sont des déclarations sans appel. Au pied d’une falaise verte et noire, un tapis de galets bleus et gris se déroulent.

-Mais ce n’est pas une plage ! lance-t-elle, déçue.

Ils se déchaussent et arrondissent la voûte des pieds pour s’adapter aux cailloux importuns. La mer, dans cette double armature de roche, est immobile et timide. Yesirah se dévêt avec la maladresse d’une vraie peur déguisée en fausse pudeur.

-Tu es belle.

- Viens !

- Non, je te regarde.

Il s’assoit. Elle progresse jusqu’au rivage. Chacun de ses pas est pensé, esquissé dans un but précis. Elle sait qu’il la regarde dans son dos. Elle se demande si sa démarche est féminine. Si ses fesses sont trop grosses. Les pensées déstabilisent sa progression. Elle touche l’eau, enfin. S’enfonce peu à peu. Les genoux, les cuisses. Elle se retourne et le voit au loin, immobile, le regard fixé sur elle. Elle sourit, sans savoir si de là il peut le discerner. Quelques brasses au loin. Sortie d’eau. Retour vers Antise. A mi chemin, il a pris une photo. Gênée, elle a esquissé un mouvement de hanches, et sorti sa moue de théâtre. Elle est frigorifiée. Il l’entoure de sa serviette et la frotte avec vigueur. Elle rit. Ses mèches mouillées jouent avec ses yeux noisette. Des promeneurs endimanchés qui ont relevé leurs pantalons aux mollets, les regardent de loin. Ils sont le spectacle de cette soirée d’automne- ils en ont conscience et ils s’en moquent.

Ils prirent la voiture pour monter au sommet de la falaise et explorer les alentours. La nuit était tombée, Yesirah avait froid. Antise lui donna un de ses vêtements. Il ne voulait pas qu’elle ait froid, et regardait les deux collines, îlots de beauté sous le pull d’homme trop grand.

Au sommet de la falaise, quelques maisons perchées, volets clos, défiaient le ciel et l’abîme. Des langues de pelouse épaisse s’aventuraient irrégulières jusqu’au bord. Tout au bord, ondoyant dans le vide, des broussailles d’oyats dansaient comme de vieilles femmes folles, enivrées par le vent d’ouest. Une pénombre d’encre avait plombé le paysage, et Antise qui s’aventurait vers le bord lui dit de faire attention. Yesirah fut saisie de la pensée saugrenue d’une chute. Un léger vertige s’empara d’elle, une peur excitante, comme celle des enfants qui jouent à se faire peur. Elle le suivit et lui prit le bras doucement, pour ne pas le surprendre.

- Regarde, la dune est meuble à cet endroit. Tu ne sais pas où la terre s’arrête…

Ils s’éloignèrent du bord, et elle sentit le besoin urgent de le lui dire.

- Je sais que c’est trop tôt, mais- je crois que je t’aime.

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