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28 janvier 2011

Chapître 5 - Paris, novembre 2010

-Tu m’aimes ?

Claudia observa le profil d’ Antise, qui se découpait dans la lumière tamisée du salon. Elle suivit la ligne de son nez fin et droit  et son regard se posa sur les contours anguleux de son visage, à l’endroit de la mâchoire. Antise était beau ; il alliait la fermeté de traits masculins à une finesse et une sorte de délicatesse presque féminine. Ses yeux étaient rivés sur l’écran, paupières mi-closes, comme absorbé. Claudia  entreprit de le sortir de sa rêverie.

-Tu vois, il n' est pas si nul que ça, ce film ! Tu es complètement dedans, tu m’as même pas répondu pour les vacances...Donc la Normandie, ça ne te dit pas ?

Antise parut se réveiller d’un long sommeil et s’éclaircit la voix.

-On verra ?

…..

Mardi 23 novembre.

Antise regarda son reflet dans le miroir de l’armoire. Silhouette fine, musculeuse. Pas mal, pour un type de 35 ans qui ne passait pas ses weekends  en salle de muscu. Il pivota légèrement et s’observa de trois quarts. Ses collègues se retenaient de grignoter aux soirées d’entreprise et certains affichaient déjà la petite bedaine du cadre installé. Son ventre à lui était tendu et dessiné, et la chemise qu’il avait choisie laissait deviner une ligne d’épaules découpée et tonique. Un jean et une chemise ciel, oui, c’était très bien. De toute façon cela ne se présentait pas comme la soirée du siècle ; ils ne parleraient pas psycho, informatique ou alpinisme. Il faudrait supporter la superficialité et la gouaille de la femme de Bruno ; tout au plus pourrait-il éviter que la conversation ne s’éternise sur les clubs de karatés du petit ou les cours de dessin de la petite. Il boutonna les manches de sa chemise.

-Tu es prêt chéri ?

-On est partis.

Claudia avait mis ses boucles d’oreilles et son manteau de daim. Elle l’attendait sur le seuil, son  parfum fraîchement appliqué flottait dans l’entrée. Elle avait laqué ses cheveux, et le regardait avec ironie, un bouquet de pivoines dans les bras.

- Très belle, chérie- presque trop, fit- il en passant la main autour de sa taille.

Ils se retrouvèrent dans la rue lumineuse et froide. Il avait plu toute la journée et la route luisait, réverbant les lumières orange des lampadaires et des enseignes de la ville. Les talons de Claudia cliquetaient sur le trottoir mouillé et elle s’assurait de temps à autre qu’aucune flaque ne se trouvait sur leur chemin. Antise remarqua que son haleine formait un nuage de vapeur chaude dans l’air du soir. Novembre…encore quatre mois de froid.

-Dépêche toi, on n’est pas en avance…

Parvenue sur le palier de la petite maison de banlieue, Claudia s’arrêta un instant.

- Antise, tu promets de faire un effort ?

-Mais oui, tu me prends pour un cuistre ou quoi …

Claudia l’embrassa.

-Oui, tu es mon cuistre préféré et on va dîner chez la famille Bordel…On va s’amuser, tu verras.

Claudia appuya sur le bouton de la sonnette. La porte s’ouvrit et un visage rose et jovial surgit dans l’embrasure. On eût dit qu’elle attendait derrière la porte que la sonnette lui donne le signal.

-Bonsoir vous deux ! Vous allez bien ? Oh merci, des pivoines…je t’embrasse Claudia.

D’embrassades en poignées de main, de sourires en bises sur les joues des petits, le petit groupe se dirigea vers la salle à manger où  Bruno et Marine avaient préparé la table.

- C’est informel, ce soir, s’excusa-t-elle joyeusement. Entre les gosses et les clients, en ce moment je n’ai plus le temps pour la cuisine fine ! Mais donnez-moi vos manteaux ! Installez-vous !

Ils s’assirent et pendant qu’elle babillait et comme pour confirmer ses propos, les deux enfants, excités par la venue des invités ou la possibilité de se coucher tard, commencèrent une partie de cache cache derrière le canapé. Le garçon était un petit blond aux yeux noisette ; il avait les lèvres pincées et, manifestement plus rusé que sa sœur, surgissait  régulièrement derrière elle alors que celle-ci pensait guetter. Elle partait en courant, hurlant et riant à travers la maison. « Arrêtez les enfants ! » Criait Marine de temps à autre, sans y mettre grande conviction ; pour la forme, comme si ces mots sortaient d’eux –mêmes,  par une sorte de conformité à la situation. D’ailleurs se dit Antise, le vocabulaire de Marine convenait toujours à la situation et tout son discours était caractérisé par une fluidité et une incontinence  qui l’ennuyaient au plus haut point. Il n’en avait jamais parlé à son ami mais il se demandait encore pourquoi celui-ci s’était entiché d’une femme autant portée sur l’anecdote, aussi anodine en somme, lui dont les gestes et les rares paroles trahissaient à chaque instant l’intelligence. La vie est ainsi faite, qu’on ne sait ce que les autres cherchent pour eux-mêmes, se dit-il en portant le verre d’apéritif à ses lèvres.

A ce moment-là la petite fille hurla et le cri retentit dans toute la maison. Antise jeta à Claudia un regard à la dérobée.

- Bonne la semaine, Antise ?  Ça avance, ton projet d’application ?

- Ecoute oui, on se débrouille… J’ai pas ton expérience mais l’équipe est compétente. Et le projet Hypérion est vraiment prometteur.

La conversation s’orienta sur la partie technique du poste d’Antise. Il avait depuis peu intégré le service informatique d’un grand groupe alimentaire et avait pris la tête d’un projet d'application qui devait à long terme permettre à l’entreprise une efficacité accrue dans la planification et les budgets. Antise, d’abord réticent à l’idée de revenir sur ce qui occupait ses journées depuis plusieurs mois, sentit que son ami l’y encourageait pour lui-même. Ce dernier s’y engouffra en effet avec le plaisir non dissimulé d’un homme dont le quotidien  manque de discussions passionnées. Quant à Antise, il mesurait l’importance d’une discussion comprise d’eux seuls avec son ami, qu’il voyait désormais rarement, et se laissa finalement questionner de bonne grâce.

Marine, qui avait attendu quelques instants de voir quelle tournure prenait la conversation et à quel endroit elle pourrait l’interrompre, n’y tint plus et se tourna vers Claudia.

-Tu as fait quelque chose à tes cheveux ? Un balayage non ?

Sur ces mots un bruit strident et long fit sursauter le couple et ses invités. Lassé du cache cache, debout au milieu du salon, le petit avait attrapé une flûte à bec et soufflait de toutes ses forces en regardant son père d’un air de défi.

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