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28 janvier 2011

Chapître 6 - Belle Epine, décembre 2006.

- Non mais ils ne vont pas bien, je t’assure.

Yesirah éclata de rire. Antise poursuivit :

- Je ne rigole pas ! le dimanche, c’est la fanfare municipale. Attends…tu entends là ?

Yesirah tendit l’oreille. Du plafond,  étouffés, venaient des sons réguliers et lancinants : tuut. Tuuut. Tuut. Tu entends ? Il y a DEUX notes. ! Il n'a pas arrêté, tu dormais encore quand il a commencé…

Deux notes tapotées à un doigt sur un mini synthétiseur pour enfant, qui devait compter tout au plus une ou deux octaves. Le pianiste inspiré, satisfait de sa mélodie, la jouait à l’infini.

- Je ne rêve pas ? Hein ? Tu entends ?

Yesirah se mit à rire. La figure d’Antise, les sourcils arqués, reflétait l’ahurissement et l’incompréhension.

- Et attends, c’est pas fini ! y a le petit frère en plus ! ça c’est l’aîné ! On les a croisés dans le hall l’autre jour quand on rentrait du footing, tu n'as pas fait attention ? Une famille de gros beaufs ! mais une caricature ! ils revenaient du liddle avec des gros sacs…le père, la mère et les deux ptits ! Tous gros !

Là-dessus une voix qui devait appartenir à une femme vociféra à travers l’appartement, suivi d’un fracas de petits pas lourds et sonores. "Reviens ici tout de suite !" beuglait la mère. "Naaaaan" criait le petit. Des sifflements stridents de flûte en plastique traversaient la pièce, tandis que le bruit mat d’un objet tombé au sol fit sursauter Yesirah et Antise.  Une giffle mit fin aux sifflements, aussitôt remplacés par un vagissement aigu, tandis que les deux notes régulières continuaient leur imperturbable mesure.

- C’est les Thénardier, tes voisins...

Yesirah et Antise furent pris d’un fou rire. Quant Antise riait, ses lèvres fines se tordaient légèrement comme s’il essayait de contenir une irrépressible envie de rire, tout en échouant à demi. Antise occupait l’appartement de sa mère, que celle-ci avait acheté, lorsqu’ils avaient emménagé en région parisienne, après avoir quitté leur dordogne natale. La mère et la sœur étaient rentrées, laissant l’appartement à Antise. C’était un cinq pièces spacieux, à la tapisserie sombre, qu’Antise avait aménagé sommairement, quelques côtés vieillots subsistaient qu’il avait laissés intacts, sachant qu’il l’occupait de façon provisoire. Il était situé au 6è étage d’un grand immeuble de Fresnes, lui-même faisant partie d’un bloc d’autres immeubles tous identiques et gris, quoique en bon état. Le linge pendait aux séchoirs des balcons étroits, et en ce début du mois de décembre, des guirlandes d’ampoules multicolores dégringolaient sur un bric-à brac d’antennes , de  plantes grasses  et de jouets ignorés.

-T’as pas tout vu…regarde le père noel en plastique du 5ème, s’il est pas beau.

Et il ajouta:

- Allez, journée kitsch. On va à Belle Epine.

- Où ça ?

- Ne me dis pas que tu ne connais pas Belle Epine ?  Fais-toi belle, ajouta-t-il, hilare.

Ils prirent leurs manteaux et Antise les conduisit au centre commercial avoisinant. Yesirah tenait sa main. Depuis la cacophonie matinale, elle riait. Aujourdhui elle avait envie d’être sa petite femme. Elle ouvrit de grands yeux lorsqu’il ouvrit la portière de la voiture.

Un énorme bâtiment de béton clair mangeait les dernières couleurs du ciel d’hiver et écrasait de son aplomb tranquille le bitume de la zone commerciale. Ils entrèrent. Yesirah n’avait jamais pénétré dans un centre commercial aussi vaste. 

A l’entrée, la soufflerie d’air chaud décoiffa les deux amants. C’était un véritable complexe- les hypermarchés côtoyaient les enseignes de vêtements, dans une débauche d’éclairages jaunes et blancs ;  les chaînes de cafétérias et les restaurants, du fast food à l’établissement gastronomique, soufflaient leurs odeurs excitantes aux narines affolées des passants ; enfin, dans l’aile droite du complexe, deux cinémas, un bowling et un centre de fitness se proposaient  de parachever le divertissement l’homme du samedi. Cà et là, des sorties d'air chaud décoiffaient les badauds. Une musique sirupeuse arrosait les allées. En croisant les familles aux  doigts graissés par les viennoiseries, Yesirah aurait dû être prise d’une profonde mélancolie ; dans la complicité amoureuse d’Antise, elle s’amusait et éprouvait presque de la tendresse à faire partie de la foule béate. 

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