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28 janvier 2011

Chapître 7 - Paris, novembre 2010.

-Ou-ou, tu m’écoutes ?  Elle avait parlé doucement et le ton se voulait gentiment taquin mais Antise perçut distinctement l’agacement de Claudia.

-Tu pourrais faire un effort, fit-elle en se redressant sur sa chaise comme pour réintégrer le dîner.

Les enfants s’étaient posés devant la télévision et étaient absorbés par les images animées du poste.  Des stries de violons d’inspiration japonaise emplissaient le séjour. Antise  jetait régulièrement des coups d’œil distraits à l’écran coloré.

Marine se leva et couteau à la main proposa une seconde tournée de dessert.

- Il est excellent ton moelleux, vraiment, mais je vais m’arrêter là.

- Antise, un petit morceau ?

- Je te remercie, mon estomac capitule.

- Thé, café ?

Marine rejoignit la cuisine. Bruno fourra une pipe de tabac et craqua une allumette. La pointe du couteau de Claudia dessinait des courbes dans le creux de l’assiette à dessert.

-Merci , c’était vraiment sympa.

Marine fit un large sourire, et son enthousiasme se réveilla. Elle avait les joues rosies par la chaleur de la cuisine et l’excitation de recevoir, et ses yeux tombaient un peu.

- N’hésitez pas à passer, même à l’improviste…on a toujours quelque chose dans le frigo ! Hein chou?

Son mari, qui après la discussion avec Antise avait peu parlé, et qui portait très mal le sobriquet de chou, s’était contenté de se lever avec ses convives et de les accompagner jusqu’au seuil. Il ne répondit pas à la question de sa femme. Il tira une longue bouffée de sa pipe, puis plongea ses yeux dans ceux d’Antise. Son sourire, où pointait une légère ironie, mit Antise dans une sorte de gêne. Il ne dit rien. L’instant dura peut être une ou deux secondes, mais Antise fut saisi d’une tristesse inexplicable.

Tandis qu’il enroulait son écharpe autour de son cou, Claudia attrapa son manteau en daim, l’enfila et déposa une bise sonore sur la joue de l’hôtesse.

- On y pensera. A la prochaine, et bon courage avec les monstres !

Antise sut gré à Claudia d’avoir rétabli par ces quelques mots les apparences enjouées de la soirée et dissipé le malaise qui affleurait. Le perfectionnisme de Claudia s’appliquait aussi aux convenances, et que ce fût au nom de la politesse ou d’un optimisme philanthrope, elle avait cette capacité à rendre les choses fluides et claires, à dissiper d’un mot le chaos naissant.

La porte se referma dans un bruit sourd. Antise et Claudia se retrouvèrent dans le silence glacé de la rue du petit lotissement. Un léger vent s’était levé ; Antise fourra ses mains dans ses poches en réprimant un frisson. L’air s’était refroidi, et on distinguait çà et là les lueurs blanchâtres du gel sur la surface bosselée du bitume. Les deux silhouettes emmitouflées marchaient côté à côte sur le trottoir. Claudia ne souffla mot jusqu’à la rue de ventadour, et le bruit de ses talons sur les marches résonna dans la cage d’escalier de l’immeuble. Antise sentait qu’il devait prendre l’initiative de parler, mais une paresse douce le tenait silencieux.  Une bouffée d’air tiède les enveloppa quand ils pénétrèrent dans l’appartement. Claudia poussa d’un geste sec l’interrupteur du plafonnier et ne prit pas la peine d’allumer la petite lampe du salon. Claudia n’aimait rien moins que les disputes. Quelle qu’en soit la raison, elle préférait se taire que de lever la voix. Des conflits intérieurs la secouaient et sa colère retenue se sentait dans ses gestes, bien qu’elle s’efforçait là aussi d’en contrôler l’ampleur.

Antise voyait ce qui se passait mais n’avait pas la force, ni l’envie de réagir. Il ne considérait pas avoir été impoli ; il ne s’était certes pas prêté au jeu du dîner ; mais il avait essayé, avait jeté ses forces dès le début ; puis il avait décroché, il s’était mis en veille, comme Claudia avait coutume de lui dire, le reproche dans la voix. Impoli, non ;  il n’avait été rien d’autre que lui-même-c’était son droit.

Claudia rompit  enfin le silence.

- Je suis fatiguée ; je vais me coucher.

Elle avait pris soin, comme à son habitude, de ne pas laisser le reproche imprégner ses paroles. Le ton était neutre, distant.

Il ne protesta pas et la laissa monter à l’étage. La chaleur de l’appartement détendait peu à peu ses membres, le sang affluant et ranimant les extrémités de ses doigts. Une forme de soulagement après la tension de la soirée l’envahit. Il se laissa tomber sur le canapé et alluma machinalement le poste de télévision.

Dans une lumière bleutée, un homme à l’air grave apparut à l’écran. Antise laissa quelques secondes passer, reconnut un membre de la police scientifique  d’une série hebdomadaire et constata rapidement que c’était la rediffusion d’un épisode qu’il avait déjà vu. Il prit la télécommande sur la table basse et chercha la chaîne documentaire qu’il aimait regarder quand il revenait de soirée et qu’il avait besoin de s’aérer- sans intrigue, sans police, sans crime, sans histoires d’amour. « France O » diffusait un documentaire sur la baie d’Along ; la caméra faisait de longs travellings pour embrasser l’étendue de la baie et une voix neutre et reposante commentait  l’activité de deux vietnamiennes qui progressaient sur une barque. Antise s’était déjà rendu au Vietnam et cette région le fascinait ; c’est sans réfléchir qu’il appuya pourtant sur la télécommande.

Contrairement aux deux fois précédentes, il n’identifia pas la chaîne qu’il venait de choisir. Les couleurs de l’image étaient désuètes ; un vieux film sans doute. Une jeune femme  à la chevelure blonde ramassée en chignon, dont les traits soignés et la bouche carmin  lui rappelaient quelque chose, se trouvait dans une pièce, le visage tendu, vraisemblablement en proie à un violent tourment. La caméra s’attardait en plan rapproché sur ses yeux écarquillés, aux cils recourbés et aux pupilles immobiles, qui reflétaient la terreur. La musique, dense et stridente, suggérait une tension psychologique.  Hitchcock sans doute, se félicita Antise en reconnaissant Tipi Hedren. Le plan suivant dévoila l’homme qui lui faisait face. Sean Connery jeune, reconnut Antise, avec le plaisir de retrouver un élément familier dans un univers inconnu. Le visage de l’acteur était lui aussi tendu, mais ce n’était pas la peur qu’on y décelait ; une forme de détermination plutôt. Il tenait dans sa main un foulard rouge vif, qu’il brandissait en direction de la jeune femme. Celle-ci eut un mouvement de panique, comme si elle cherchait à fuir quelque chose; l‘homme cria « Marnie » d’une voix forte et se précipita vers elle ; il l’encercla de ses bras, la retenant de force. Ils restèrent ainsi quelques secondes, la jeune femme hurlant et se débattant, l’homme maintenant son étreinte. Puis la femme cessa de s’agiter. L’homme ne détachait pas son regard du sien ; et soudain elle fondit en larmes, dissimulant son visage dans le torse de l’homme. L’homme parut soulagé mais ne relâcha pas l’étreinte. Sans mot dire Il posa une main sur la tête blonde de la femme, dont les pleurs continuaient de couler.

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