Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Sérendipité
Sérendipité
Publicité
Archives
Derniers commentaires
31 janvier 2011

Chapître 9 - Finistère, Novembre 2010.

Le colis était par terre, près de la porte d’entrée. Elle s’accroupit et le souleva, vérifiant  de ses doigts que le carton était suffisamment épais pour être étanche et les points d’attache assez solides. Elle respira. Il ne fallait pas qu’elle tarde trop si elle voulait le déposer avant la fermeture de la Poste. Elle enfila son manteau et resta ainsi quelques secondes, le paquet dans les bras, sur le seuil. Comprendrait-il le sens de son geste ? Le lirait-il seulement ? Et en admettant qu’il le lise et qu’il comprenne, serait-il touché ? Agacé ? Yesirah chassa ces pensées de son esprit. Ce qu’il adviendrait de ce geste ne lui appartenait plus. Elle attrapa son parapluie et sortit.

Le vent irrégulier poussait la pluie oblique et des rafales cinglantes  s’engouffraient sous son parapluie. Inutile de lutter- elle le referma et releva la tête. L’eau froide sur son visage la rafraîchit. Le paquet sous le bras, elle marchait d’un pas vif.

Elle poussa la porte de la Poste, passa la main dans ses cheveux et s’approcha du guichet.

- Un recommandé, s’il vous plait..

De retour dans la rue Yesirah se sentit légère et regarda autour d’elle. Une dame à capuche marchait courbée en avant, tenant la main d’une petite fille droite en ciré rose. Un peu plus loin, sur le trottoir, deux dames tenant des sacs discutaient sous leurs parapluies. Près de Yesirah, une silhouette masculine perdue dans un manteau gris sans forme descendit d’une voiture en marche et courut jusqu’à la boîte aux lettres. L’eau traçait des coulées sombres sur les façades grises des maisons et les lampadaires s’allumaient un à un, éclairant la rue de la Poste de halos orangés.

Cela faisait presque un an et demi maintenant qu’elle était rentrée. Elle se demandait combien de temps durerait cette parenthèse bretonne, ou si elle y resterait toujours. Paris et ses environs étaient tellement liés à  Antise, qu’elle n’y retournerait que pour essayer de le voir. Elle ne savait pas quand. La pluie avait baissé ; Yesirah rouvrit son parapluie et quitta la devanture où elle s’était abritée. En se dirigeant vers son appartement, elle se dit que certains quartiers de Paris lui rappelaient aussi Darkam, et à cette pensée son visage s’assombrit et elle serra plus fortement le manche du parapluie.  Comment avait –elle pu faire une erreur aussi grossière. Qu’est-ce qui, dans la confusion de ses 27 ans, avait pu l’amener à quitter un homme qu’elle aimait pour ce …

Tout avait commencé au printemps 2007. Elle ne savait plus comment le processus s’était enclenché. Lovée dans le magnétisme d’Antise, elle avait fini par trouver une sécurité. Cependant une forme de peur l’assaillait parfois, lui donnant des envies de révolte et d’insurrection. S’affranchir de son emprise lui rendrait une autonomie qu’elle pensait avoir perdue. Une liberté qu’elle craignait de voir diminuer, et qui naissait de ce lâcher prise que cet homme suscitait chez elle, elle qui jusque là contrôlait hommes et événements, manipulant les éléments de son univers comme un démiurge.

Leurs moments d’intimité, lunaires et mystiques, lui semblaient empreints d’une énergie mauve,  qui contrastait avec la crudité claire du réel.

C’est à ce moment là qu’elle fit la connaissance de Darkam. Rieur, volubile, sociable et sanguin, il l’avait d’abord impressionnée par l’énergie solaire qu’il dégageait à chaque instant. Où qu’ils allaient, il se détachait du paysage et de la foule comme si la temporalité dans laquelle il évoluait était légèrement plus rapide que celle du commun des mortels. Des cheveux jais, de longs yeux noirs ombrés de cils sombres et denses, des lèvres charnues dans une mâchoire carrée. Une netteté de traits et des contrastes de couleurs achevaient de le rendre plus visible, quelques tons plus vif que ses congénères. De la même manière qu’il existe des êtres bémols, plus pâles et plus discrets que la moyenne, Darkam était un être dièse. Yesirah, la lente, la rêveuse, avait été rapidement séduite par la fougue méditerranéenne du jeune homme, la franchise découpée de ses gestes, ses discours incisifs et l’acuité de son observation des hommes et des caractères. Il la brusquait, aussi, la sortait de ses errances lunaires comme une eau froide sur un visage engourdi. Dès leur première rencontre, il avait posé ses mains sur ses hanches. D’une manière conquérante, il avait pris possession de son corps, sans d’abord l’apprivoiser. Surprise, Yesirah s’était laissée faire, moins par plaisir que par  absence de choix.

Yesirah poussa la porte de son appartement. Ces souvenirs faisaient monter une colère sourde. Mais il fallait qu’elle retrace l’enchaînement des événements. Comprendre.

L’arrogance et le défi qui brûlaient les yeux de Darkam avaient rapidement touché l’orgueil de Yesirah. La part amazone et chasseresse de son être lui avait soufflé, alors qu’ils marchaient côte à côte et que l’union n’avait pas encore été consommée, qu’elle devait l’avoir.

Et toute l’histoire de leur relation, qui avait duré trois années violentes, fut marquée de cette tension guerrière.

Darkam était une pause pour l’intimité orageuse de Yesirah. Là où Antise la plongeait dans les arcanes de son être, dans une apnée bleue et sans mots, Darkam proposait la surface, l’action, le pragmatisme, un matérialisme reposant et lumineux. Du moins le crût-elle, avant de s’apercevoir de sa superficialité.

Yesirah ne l’aimait pas ; elle voulait le séduire.

Elle n’avait d’abord pas fait part de sa rencontre à Antise, puis avait fini, lors d’un ébat amoureux où celui-ci l’avais mise en confiance, par le lui dire. Antise savait qu’elle était inconstante ; Yesirah pensa naïvement qu’il comprendrait. Cette scène…Yesirah s’en souvenait difficilement ; la confusion se mêlait aux souvenirs et elle avait du mal à se représenter les faits réels. Elle s’assit dans le canapé et se sentit vide. Le livre n’était plus entre ses mains. Il devait être quelque part entre ici et Paris…Elle essaya de forcer sa mémoire à fonctionner. Oui, cela avait dû se passer de la sorte. Elle avait avoué ses errances à Antise un soir, au lit.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité