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31 janvier 2011

Chapître 19 - Thèbes, 400 av JC

Les années avaient passé. Phaidimè s’usait comme la corde d’un arc laissé sans usage.  La séparation d’avec Darius avait laissé son âme en jachère. Il lui semblait qu’un voile la séparait de la cité qui continuait à vivre, bouillante et désordonnée, mais aussi de ses frères, et même de la succession des pluies et des chaleurs qui accablaient la Cité.  Il lui arrivait d’éprouver quelques tensions, à de rares occasions, lorsque le peuple de Thèbes se soulevait, mais c’étaient comme de vagues remous sur une mer intérieure. Son épiderme même avait perdu en sensibilité. Le froid qu’elle fuyait auparavant lui était désormais indifférent, et ses promenades enivrantes dans la montagne n’étaient plus que le lieu de mélancolies vagues. Lorsqu’elle avait décidé, vaincue par l’évidence, de se séparer d’Arklos, ce qu’elle avait éprouvé  n’était pas une tristesse d’amour, mais l’articulation tardive d’une désillusion qui n’avait cessé de progresser en elle.

Elle se souvint qu’elle avait essayé, quelques années auparavant, d’écrire à Darius. Elle avait confié à Lisus, qui partait pour l’Asie Mineure pour des transactions de tissus et de soieries, une lettre qu’elle avait pris soin de cacheter et d’emballer dans du papier épais, afin qu’elle pût traverser indemne les intempéries du voyage.

Je ne suis plus la femme inconstante qui a causé ces souffrances et notre perte. Aujourd’hui je sais que mon ventre ne portera que tes fils. Je suis prête à expier les torts que j’ai causés. Je connais les craintes qui t’habitent et sais les raisons de ton silence. Mais tu dois croire celle que je suis devenue. Tu comprendras quand tu auras oublié ce que tu comprenais avant.

Le messager était revenu huit mois plus tard, porteur d’une missive en retour. Phaidimè, qui avait guetté son arrivée pendant de longs mois, au point que c’était devenu le rituel et le prétexte qui maintenait pour elle la possibilité d’un quotidien, s’était agitée à sa vue. Phaidimè se souvint de chaque mot prononcé par le vieux postier ; elle avait reçu chaque son comme une cloche de plomb.

- L’as-tu vu, Lisus ?

- J’ai tourné à droite après le péribole du temple, tel que vous me l’avez indiqué,  et ai gagné cette maison à six étages près de la boutique de nasses. Là, j’ai été reçu par un homme.

- Comment était-il ?

- Son regard était froid et dur.

- Qu’a –t-il dit quand tu as prononcé mon nom ?

- Il a pris le paquet de mes mains. Il n’a prononcé aucune parole.

Lisus avait tendu la missive à Phaidimè, dont le cœur battait à tout rompre, tandis qu’elle luttait pour ne pas afficher ses émotions devant le serviteur. C’était un papier de grossière qualité, probablement de la toile de jute.  Les mots étaient écrits à la plume,  la courbe des lettres était régulière et ne trahissait pas d’hésitation.

J’ai pu te contempler avec les yeux de la pensée. Nos destins se sont séparés.

En relisant une énième fois ces mots, qu’elle avait conservés dans une boîte d’airain et qu’elle relisait parfois comme si un sens plus favorable pût émerger au cours d’une lecture plus ardente, plus précise, plus attentive, Phaidimè se dit qu’elle avait sous estimé l’ampleur de la douleur de Darius.

Après tout, comment pouvait-il la croire sur des paroles, elle qui en avait usé à tort et à travers, s’était répandue en serments et promesses, louvoyant entre ses craintes et ses mensonges ?

Cette nuit-là Phaidimè fit un rêve.  Un homme se tenait face à elle, droit et impénétrable. Il   n’avait pas de bouche et ses yeux étaient vides, son visage était figé comme celui d’une statue.  Elle protestait, mais sa propre bouche était comme engourdie. tu es un personnage de l’œuvre !. Rien dans l’attitude de l’homme ne laissait supposer qu’il comprenait, ni même entendait ce qu’elle disait. Le vent se levait. Puis Phaidimè se sentit tirée en arrière. L’homme s’éloigna. Et tandis qu’il s’éloignait, il remit sous son manteau un lys blanc fané.

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