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24 janvier 2011

Chapître 2 - Matin du 31 aout 2006. Fresnes.

Quand Yesirah se réveilla, Antise était à demi étendu auprès d’elle ; appuyé sur un coude, il la regardait. D’un geste farouche, Yesirah enfouit son visage sous les draps, rieuse, gênée. Il était évident qu’il ne l’avait pas simplement vue; il l’avait regardée dormir. Il avait regardé l’expression relâchée de son visage, les formes de son corps abandonné au sommeil. Il avait regardé et il était toujours là, avec son air calme, absorbé. Yesirah se dit que si elle fermait les yeux, tout cela disparaîtrait, elle n'aurait jamais été la délurée de la veille, ni la médiocre jeune femme chiffonnée qu'elle était en cet instant.

Antise sourit.

-Tu as peur que je te voie ?

-non, c'est...la lumière...

-J’ai aimé te regarder dormir.

Yesirah baissa le drap découvrant ses yeux et son nez et regarda Antise. Elle ne pouvait pas croire que quelqu’un pût penser cela et parler d’elle ainsi, mais elle eut un instant la certitude que c’était vrai. Quelque chose se dégageait de cet homme qu'elle n'arrivait pas à classer dans ses catégories familières...Elle connaissait les hommes qui l'aimaient plus qu'elle ne les aimait; ceux-là auraient été un peu bêtes à la regarder ainsi, et elle aurait trouvé l'affaire trop facile.  Elle aurait eu envie de partir, aurait laissé mourir l'histoire. Elle connaissait ceux qui ne l'aimaient pas, des hommes que sa fierté poussait à vouloir posséder, mais dont elle savait obscurément qu'ils ne la verraient pas; ceux-là ne l'auraient pas regardée dormir. Antise la regardait, prononçait des mots bienveillants, et elle n'éprouvait pas de dégoût. Mais un étonnement, quelque chose qui la déstabilisait profondément.

Elle s’assit sur le lit, passa énergiquement la main dans ses cheveux comme pour reprendre forme humaine et dissiper les dernières vapeurs du sommeil, ou bien de cette étrange émotion qui venait de la saisir. Il la regardait toujours.

-Tu veux un café ?

-Oui.

Elle le laissa se lever en premier, puis le suivit dans la cuisine sur la pointe de ses pieds nus. Le sol était froid. Elle se dit qu'elle avait envie de ce café. Elle se dit qu'elle aurait dû se dire que tout cela était une erreur. Qu'elle était une intruse dans une maison étrangère. Mais elle avait envie de ce café, et elle se sentait invitée. Elle tira sur les plis de sa nuisette pour en atténuer l'indécence.

Pendant qu’il préparait le petit déjeuner, Yesirah pour se donner une contenance jeta un coup d'oeil à la pièce. Epices rapportées de voyages, théière en fonte chinoise, bols à thé en céramique. Des vieilleries, aussi, comme si une famille l'avait quittée et ne s'était pas préoccupée de la débarasser. Il y avait quelque chose d’épuré et de soigné dans la disposition de la pièce. Elle n’était pas moderne, mais il s’en dégageait une sorte d'ordre et de raffinement. Ils déjeunèrent de biscuits et de café. Elle le regardait à la dérobée, feignant d'être absorbée par sa boisson et les menus objets de la pièce. Il était toujours aussi calme, posé, mais sa bouche esquissait un léger sourire, peut être. Elle buvait par petites gorgées, de façon espacée, tandis qu’il prenait conscience de sa gêne, visiblement amusé. Cette proximité soudaine dans le quotidien le plus prosaique après la nuit qu'ils avaient passée... Avait-elle réellement agi de la sorte, elle qui était d'une pudeur maladive...Des images saccadées lui revenaient des mouvements, des mots et des odeurs qu'ils avaient échangés.  Les peaux mêlées, la violence des gestes, la soumission infinie qu'elle avait ressentie. Elle éprouva une peur fulgurante, rétrospective, sans parvenir à savoir si celle-ci venait de sa propre audace, ou de l’image qu’elle avait pu projeter.  De toute façon elle devait rompre le silence, ou sa gêne irait croissante. Elle posa la tasse et dit rapidement, étrangère à sa propre voix :

-Ecoute, il faut que tu saches, je ne fais pas cela, enfin, d’habitude je..

-Ne t’inquiète pas. Moi non plus…

Comment faisait-il ? Il était laconique, et pourtant chacun de ses mots agissait comme une eau tiède sur l’esprit tourmenté de Yesirah. Face à lui, elle avait l’impression d’être un livre ouvert. Et, plus étrange encore, là où ce phénomène aurait dû l’inquiéter davantage, l’oppresser, la faire fuir, elle ressentait une forme de sécurité.

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